Terry
Pratchett est surtout connu, en France, pour son cycle des Annales du Disque-Monde.
Mais outre les quarante romans déjà publiés se rattachant au Disque-Monde (le
dernier en date, Raising Steam, sorti
à l’automne dernier, devrait nous parvenir dans la langue de Voltaire d’ici la fin d'année), il en a écrit un bon nombre, seul ou à quatre mains, qui valent tout
autant le coup d’être lus. Une minorité de ces romans se destinent à la
jeunesse (ce qui est également le cas de cinq des romans du Disque-Monde), mais
peuvent être lus et appréciés par des adultes. Roublard (Dodger) se
situe à mi-chemin, se rattachant au roman jeunesse comme au roman adulte.
Depuis
quelques années – depuis, en fait, qu’on lui a diagnostiqué une forme précoce
de la maladie d’Alzheimer – , Terry Pratchett sait qu’il n’a plus beaucoup de
temps devant lui, pour achever son œuvre, ou du moins écrire autant qu’il le
pourra avant que son cerveau n’en soit plus capable. Dans ce contexte, il a
entrepris d’achever certains projets entamés au début des années 1980, au tout
début du Disque-Monde, avant que le succès du cycle – et son inspiration – ne l’incitent
à se consacrer presqu’exclusivement à la franchise. Citons notamment le cycle
en cours d’écriture, en partenariat avec Stephen Baxter, entamé avec La Longue Terre (The Long Earth)
et se prolongeant avec La Longue Guerre
(The Long War, publié en 2013 dans sa
version originale, la version française suivra ce mois-ci). Roublard fait partie de ces œuvres revisitées,
à trente ans d’écart, par un auteur au sommet de son art. Dans ce cas précis,
il s’agissait d’ailleurs davantage d’une idée en germination que d’un manuscrit
abandonné.
L’histoire
se passe dans l’Angleterre victorienne, entre 1837 et 1853 (la date exacte n’est
pas mentionnée). Contrairement à ce à quoi l'on pourrait s’attendre de la part de
Pratchett, ce roman n’est pas de la fantasy,
mais un roman réaliste, au cœur de l’univers dépeint dans ses romans par l’écrivain
Charles Dickens. Charles Dickens constitue d’ailleurs le second (ou troisième) personnage
du roman en termes d'importance. Mais parlons d’abord du personnage principal. Orphelin
élevé dans la rue, Roublard (son vrai nom demeurera secret jusque vers la fin
du roman) est un jeune homme habitué à tirer sa subsistance de ses virées dans
les égouts, qu’il connaît comme sa poche. Charismatique et bénéficiant d’une
bonne réputation auprès des franges marginales de la population londonienne, il
a échappé à la misère grâce à sa rencontre avec Solomon Cohen, un vieil
horloger juif rescapé de pogroms en Europe de l’est. Ayant été sauvé au cours d’une
agression par le jeune Roublard, Solomon l’a pris sous son aile et hébergé sous
son toit.
Le
récit commence sous la pluie, la nuit, en pleine tempête. Roublard, entendant
un cri, vole au secours d’une jeune femme qu’il sauve d’une agression (cela
devient une habitude). Arrachant la mystérieuse inconnue des griffes de ses
agresseurs, il l’aide à se cacher en la confiant à Charles Dickens, qu’il
rencontre fortuitement, et ses amis. Il n’aura de cesse de retrouver ceux qui
en veulent à la jeune femme (rebaptisée Simplicity), pour la mettre
définitivement à l’abri de leurs exactions. Chemin faisant, il rencontrera
des figures historiques emblématiques de l’époque, de Benjamin Disraeli à Charles
Dickens, en passant par Sweeney Todd, le sinistre barbier de Fleet Street. Sa vie
en sera changée à jamais, pour le meilleur et pour le pire.
J’ai
été charmé par cette œuvre atypique, d’un auteur prolifique ayant délaissé sa
série principale pour rendre un ultime hommage aux auteurs et à la société du
dix-neuvième siècle. Le livre-compagnon sorti un an après le roman, Dodger’s Guide to London, permet par
ailleurs au lecteur de se plonger avec plus de précision dans le Londres de l’époque.
Je dois confesser n’avoir pas lu la version française de ce roman, mais je ne
doute pas que Patrick Couton aura réussi, comme à son habitude, à rendre
justice à la verve de Pratchett, à sa voix unique qui refuse de s’éteindre.
Louis
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