Je connaissais Justine
Niogret pour avoir lu son premier roman, Chien
du Heaume, ayant pour cadre un Moyen-Age indéterminé, réaliste et brutal
sans le halo doré dont l’affublent volontiers les poncifs de la fantasy institutionnalisée. La
protagoniste, femme forte amenée par les circonstances à alterner les métiers
de son temps (nourrice) et de son tempérament (garde du corps), convainquait
par la justesse de la description, des dialogues. J’avais été impressionné,
sans m’y attendre. Depuis, deux autres romans, qui m’attendent sur ma pile à
lire, ont confirmé par leur accueil tout le bien qu’il faut penser de l’auteur.
Mordred est moins percutant, au premier
abord, que Chien du Heaume, qui
m’avait fait l’effet d’un coup de poing. La matière est plus fluide, mais
acquiert une densité croissante à mesure qu’on lit. Tout est dans la
suggestion, dans l’étalage de subjectivité. Celle de Mordred, avant tout. Ayant
un peu trempé dans la légende arthurienne, je connaissais ce personnage de
félon, connu pour son origine trouble (fruit des amours incestueuses d’Arthur
et sa demi-sœur la Fée Morgane) et sa fin traîtreuse (ayant assassiné Arthur
sur un champ de bataille, il succombera aux blessures infligées par celui-ci).
Mais ici, tout est centré sur l’intériorité de Mordred, ses états d’âme, la
façon dont il ressent les épreuves qu’il doit affronter et les tuiles qui lui
tombent dessus. Son enfance nébuleuse, passée pour les premières années dans le
giron de sa mère, entre mysticisme et pharmacopée, puis un exil à Camelot sous
l’impulsion d’un « oncle » assez vague, dont les visites espacées se
sont converties en une éducation forcée, pour apprendre le métier de chevalier.
Or,
Mordred excelle au métier des armes, maniant l’épée en virtuose et faisant
preuve d’une ardeur à la limite de la folie. Il prend goût à la boucherie,
malgré les brimades continuelles de celui qui sera, en définitive, son seul
ami. Un accident de parcours, au cours d’une quête dans une grotte à l’issue de
laquelle il revient mutilé au château, remet en question sa place au monde et
sa raison d’être. Il mettra plus d’un an à se rétablir, lente convalescence servant
de coalescence à la névrose de Mordred. Le creuset de sa psyché dérangée achève
de parfaire le précipité qui aboutira, au terme du roman, à la double mort d’Arthur
et de son fils illégitime.
Mordred est à mon sens une réussite, tant
le monologue intérieur de Mordred, quoiqu’extériorisé par la narration, impose
à l’œuvre un rythme subtil et envoûtant. Si Chien
du Heaume révélait une nouvelle voix de la fantasy francophone, Mordred
consacre une écrivain parvenue à maturation, rompue au métier, maniant la plume
et le clavier comme un violoniste son archet. Moins immédiat de prime abord, Mordred est un roman qui ne livre que
peu à peu sa complexité, comme un nectar lentement distillé dans les alambics
de la fiction.
Louis
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